DU CLOÎTRE AU CONDOMINIUM
Le 21 août 1956, un article intitulé « Le plus beau centre résidentiel d'Amérique du Nord » mentionne le développement de 400 appartements et 3 500 maisons unifamiliales sur L’Île-des-Sœurs. Le projet, encore sur papier, sera réalisé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) et visera 50 000 nouveaux insulaires. La vente des terrains a été négociée par la Ville de Montréal avec la Congrégation de Notre-Dame, propriétaire depuis 1769, pour la modique somme de 1,3 million de dollars (soit 12,5 millions aujourd’hui). Parmi les termes de l’accord signé avec les Structures Metropolitaines du Canada (SMC), l’exigence que l’ensemble des logements soient mis en location, sans aucune exception.
L'organisation d’Expo 67 à la même époque permet de résoudre les deux grands problèmes qui avaient empêché le développement de l’île jusque-là : l'absence de lien direct avec Montréal et la survenue d’inondations annuelles. La construction du pont Champlain et celle d’un barrage à l'ouest de l’île augmentent les surfaces exploitables, tout en leur donnant plus de valeur. Mais la situation du marché immobilier évolue rapidement et le secteur locatif est saturé à la fin des années 1970. Ne pouvant poursuivre le développement convenu, SCHL vendra les terrains vacants à différents promoteurs. Le premier est érigé en 1977 sous la forme d’une pyramide de 164 unités de type condominiums, aux prix variant de 40 000 $ à plus de 100 000 $.
DANS LES PAS DE MIES VAN DER ROHE
Collaborateur régulier de SMC (basée à Chicago), l’architecte de renommée internationale Mies van der Rohe rejoint très tôt l’équipe de développement de L’Île-des-Sœurs. Le projet de la « ville de rêve » lui offre la possibilité de développer ses idées à travers la planification d’ensemble et la conception de tours résidentielles. Son style caractéristique s’exprime à travers des compositions quasi abstraites et des volumes purs, à l’image de la station-service qu’il réalisera sur l’île en 1968, aujourd’hui une icône pour la métropole, par ailleurs reprise au Répertoire du patrimoine culturel du Québec.
Suite au départ en 1970 de Philip D. Bobrow, architecte local chargé de la réalisation de la phase I, la firme Tornay-Desmarais reçoit la délicate mission de poursuivre les phases suivantes dans un équilibre juste entre l’intégration des constructions au contexte, le respect de l’architecture miesienne et l’exigence des nouveaux locataires de disposer d’une vue plus directe sur le paysage. Les Tours II et III présenteront une série de balcons supplémentaires, dont la finesse de réalisation se retrouvera à travers l’ensemble du développement de la phase II, laquelle recevra une distinction du Conseil national du logement. La collaboration avec la famille Gewurz se poursuivra durant les décennies suivantes, menant à la réalisation de tours, maisons, appartements, magasins, bureaux, centres de golf et plans directeurs.
LE PREMIER QUARTIER VERT DE MONTRÉAL
Les premiers plans directeurs de l’île sont établis en 1956, dans un contexte de compétition entre les grandes villes américaines, à la recherche du meilleur équilibre entre construction et nature. Insatisfaites des premières propositions, SMC se charge de développer elle-même un nouveau concept d’aménagement, avec l’appui de sa propre équipe d'architectes, de planificateurs, d'ingénieurs, de conseillers en circulation et de spécialistes de l’écologie.
Suite à la dissolution de la société en 1978, Proment devient le principal développeur de l’île et confie à NEUF l’élaboration du plan directeur de la Pointe-Sud, après de nombreuses négociations avec la ville dans le cadre de la préservation de la forêt. La firme intègre la vision originale d’un réseau de poches urbaines aux identités architecturales marquées, chacune centrée autour d’un parc dédié, en préservant les accès piétons vers les sentiers bordant le rivage, le boisé et les nouvelles aires aménagées. Le modèle suit celui de la cité-jardin tel qu’il a été introduit sur l’île en 1965, alors que ce type d’approche se faisait extrêmement rare à Montréal.
AU-DELÀ DE L’EXPÉRIENCE
Après plusieurs obstacles et imprévus, le projet de L’Île-des-Sœurs s’achève avec le dernier tronçon de la Pointe-Nord. Son emplacement et sa superficie se sont avérés idéaux à la conduite d’une expérience grandeur nature sur les modes de vie alternatifs, la variété de logements octroyant la masse critique nécessaire à l’établissement d’une communauté viable. Cette mixité, nécessaire au quotidien des habitants de l’île, a permis d’atteindre une haute densité bâtie tout en préservant le caractère naturel des lieux, poursuivant le souci d’intégration à la nature des fondateurs du projet.
Contrairement aux 50 000 résidents annoncés, la population n’atteindra toutefois que 30 000 habitants à terme. Et bien que la superficie totale soit de 40% supérieure à celle durant l’époque d’occupation des religieuses, le nombre de résidences restera de 20% inférieur à celui envisagé en 1965. Un chiffre qui bénéficiera aux espaces verts et aux parcs bordant le Saint-Laurent, qui seront finalement bien plus vastes qu’imaginés.
Aussi, il est intéressant de constater comme les imprévus et les adaptations aux contextes économique et social, mais aussi aux valeurs portées par les citoyens et les responsables de la ville, ont concouru à façonner L'Île-des-Sœurs. Chargée de la conception et de la réalisation de plusieurs bâtiments résidentiels, commerciaux, industriels et de loisirs, NEUF a apporté une contribution significative à l’accomplissement de ce grand projet urbain, touchant aujourd’hui des dizaines de milliers de Montréalais y résidant de manière permanente et y transitant quotidiennement.
Crédits photos: Adrien Williams